Le rapport national sur l’excision en cours de validation, indique que 7.127 cas de complications ont été identifiés en 2018. Parmi lesquels, 5.790 cas ont été médicalement pris en charge, 2328 ont bénéficié d’un accompagnement psychologique et 2372 autres cas ont été pris en charge sur un plan juridique.
En outre, 696 victimes de complications liées aux mutilations génitales ont bénéficié de la réinsertion économique
La problématique des mutilations génitales féminines, y compris l’excision, est une question qui mobilise les organisations de défense des droits de la femme et des associations de la société civile. Ces organisations considèrent la pratique comme une violence corporelle aux conséquences désastreuses sur la santé reproductive de la femme.
Un véritable vent de contestations souffle actuellement sur la pratique. Dans le cadre de cette mouvance, en 2003, la Journée internationale contre les mutilations génitales a été instituée. Désormais, le 6 février de chaque année est consacré à l’abandon de la pratique. L’événement a donne lieu à des rencontres d’échanges sur les enjeux liés aux mutilations génitales féminines.
Il faut dire que la question de la pratique de l’excision divise toujours dans notre pays. Selon les données de l’Enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS-Mali) de 2015, le taux d’acceptation de l’excision reste encore fort chez les femmes. Plus de 75% d’entre elles se prononcent en faveur de la pratique. Plus de 14% des femmes exigent l’abandon de la pratique. Il ressort également de l’analyse de données de l’étude que l’approbation de la pratique baisse avec le niveau d’instruction des femmes.
Selon qu’elles soient pour ou contre, les avis des femmes sont tranchés. Pour Kadi, l’excision ne doit pas être bannie dans notre société. Cette mère avoue avoir excisé sa fille. «Je ne vois pas de mal en cette pratique. Bien au contraire, elle atténue la libido», soutient-elle. Ne pas exciser les jeunes filles équivaut à les préparer à une vie dissolue, argumente notre interlocutrice. Son avis est partagé par l’enseignante Mariam. Elle aussi vient de faire exciser sa fille de 7 mois. «Je suis contre l’abandon de la pratique de l’excision. Il s’agit d’une de nos valeurs sociétales qui a ses avantages pour la fille, ses parents, voire la société. Peut-être qu’on peut revoir la manière de faire à travers la formation des exciseuses», explique l’enseignante.
La conscience collective – Par contre, Djénéba, stagiaire dans une agence de communication, s’oppose à la pratique. Selon elle, les conséquences graves qui peuvent découler de l’excision doivent interpeller la conscience collective. Elle affiche clairement son dégoût pour l’excision et assure qu’elle n’excisera jamais ses filles. Mais, s’empresse-t-elle d’ajouter, il y a les pressions du mari et de la belle famille qui obligent certaines femmes à faire exciser leurs filles. «Dans un monde qui évolue, je me demande pourquoi des gens continuent encore à faire cette pratique désuète. J’ai pitié des filles innocentes qui en subissent les conséquences», fustige, de son côté, Mme Sow. Malgré la pesanteur sociale, elle n’entend pas sacrifier un seul jour à cette pratique. Elle se dit même capable d’ester en justice contre celui ou celle qui oserait à exciser ses filles. Que l’on soit pour ou contre, l’excision n’est pas sans danger. Certains experts sont formels. La pratique peut engendrer des complications sur la santé reproductive de la femme, plus tard. D’autres spécialistes ne partagent pas forcément ce point de vue. Mais tous s’accordent pour mettre l’accent sur la sensibilisation des familles afin de parvenir à l’abandon, purement et simplement. Les autorités semblent faire le pari de renforcer l’aide aux victimes, à défaut de gagner immédiatement la bataille de l’abandon. C’est certainement l’esprit du thème national retenu cette année pour célébrer la Journée internationale contre les mutilations génitales : «Rendre accessibles les services de prise en charge des victimes de complications des mutilations génitales féminines/excision».
Le silence des victimes – L’évènement est le plus souvent marqué par des actions de sensibilisation mais aussi de condamnations fermes de la pratique par les organisations féminines et le Programme national de lutte contre l’excision (PNLE). Ce programme, créé en 2002, est un service rattaché au ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille. Il coordonne, suit et évalue des projets intervenant dans le domaine. Le PNLE développe aussi des stratégies de sensibilisation des groupes sociaux en vue d’obtenir leur adhésion à la Politique nationale pour l’abandon des mutilations génitales. Youssouf Bagayoko, chef de division plaidoyer et mobilisation sociale, justifie le choix du thème national par le grand nombre de victimes des mutilations génitales féminines qui ont difficilement accès aux services de prise en charge, notamment sur le plan médical, psycho-social, économique et juridique.
Par ailleurs, il explique que très peu de services offrent gratuitement cette prise en charge. «Si la victime devrait elle-même se prendre en charge, les coûts deviendraient énormes pour elle et ses parents qui, le plus souvent, ont des difficultés à y faire face», argumente le spécialiste. Il assure que certaines victimes souffrent en silence et se gênent d’en parler parce que cela touche leur intimité. Selon notre interlocuteur, la Journée interpellera intervenants, décideurs et bailleurs de fonds sur la prise en charge des complications et des efforts à accomplir pour mettre fin à la pratique. En matière de prise en charge, 7.127 cas de complications ont été identifiés en 2018. Parmi lesquels, 5.790 cas l’ont été médicalement, 2328 ont bénéficié d’un accompagnement psychologique et 2.372 autres cas ont été pris en charge sur un plan juridique. Il faut aussi retenir que 696 personnes victimes de complications liées aux mutilations génitales ont bénéficié de la réinsertion économique, selon le rapport national sur l’excision en cours de validation.
La formation de 6008 acteurs de la société civile, 997 élus, 106 parajuristes en 2018 est aussi un acquis important. En outre, il y a eu le renforcement des capacités de 344 agents socio-sanitaires sur la prise en charge des conséquences des mutilations. Comme pour pousser dans la même direction que le PLNE, 55 autres programmes de développement social économique ont intégré l’abandon des mutilations génitales féminines. De même, 637 leaders religieux se sont engagés à soutenir l’abandon de la pratique et 343 communautés villageoises ont également fait des déclarations publiques dans le sens de l’abandon de l’excision.
Ces résultats sont insuffisants eu égard au degré d’enracinement du phénomène, comme le démontrent les résultats de la dernière Enquête MICS-Mali. En se référant à cette étude, notre spécialiste explique que 83% des femmes âgées de 15 à 49 ans sont excisées dans notre pays. Ce taux est de 76% chez les filles de 0 à 14 ans. La répartition géographique donne les taux suivants : Bamako 88%, Kayes 89%, Koulikoro 97%, Sikasso 92%, Ségou 84%, Mopti 74% et Tombouctou 33%. On l’estime à moins de 1% à Gao. En ce qui concerne la tranche d’âge 0 à 14 ans, le taux est de 77% à Bamako, 90% à Kayes, 78% à Koulikoro, 75% à Sikasso, 72% à Ségou, 70,3% à Mopti et 53% à Tombouctou. Paradoxalement, le Programme de lutte contre l’excision ne dispose d’aucune statistique concernant Gao.
Le combat pour l’abandon est loin d’être gagné. Les acteurs de la lutte ne cèdent pas au découragement. Cette année, ils célèbreront la Journée internationale au Centre de santé de référence de la Commune V où se trouve le «One stop center», une unité de prise en charge holistique des violences basées sur le genre.
Aminata Dindi
Sissoko
Source:Essor