Avant l’incendie ravageur qui a détruit une bonne partie du grand marché de Kayes dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 juin 2019 aux alentours de 21h 39 minutes, deux autres s’étaient produits, dont l’un avait touché deux boutiques de chaussures. Pour l’heure, on dénombre « 400 placettes en bas et 176 au 1er étage » de l’immeuble touché par l’incendie du 29 juin. Le chiffre nominatif des victimes est de 330 personnes et le coût des dégâts est à hauteur de quatre cent quatre-vingt-quatre millions quatre cent quatre-vingt-quatre mille (484 000 484) FCFA, selon les décomptes de la délégation régionale de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali de Kayes qui a commis un bureau d’huissier pour le constat.
Que s’est –il passé ce jour-là ?
Il était 21h39 minutes ce samedi « noir » pour les commerçants du marché qui, avant le sinistre, se reposaient en famille après une longue journée de travail. En ce début d’hivernage, une fine pluie accompagnée d’un grand vent s’était abattue sur la ville, et les habitants qui souffraient des affres de la canicule en étaient s’y heureux d’avoir un peu de fraicheur.
Contre toute attente, la mauvaise nouvelle tombe, fait le tour de la ville : « le marché de Kayes est en feu ». Sur les réseaux sociaux, que d’indignation et d’incompréhension face à ce nouveau désastre qui a eu lieu quelques années après qu’un grand incendie eut touché ce même marché.
Dans la foulée, tous les commerçants convergent vers le centre commercial pour tenter de récupérer ce qui peut l’être. Que de l’émotion, de tristesse, en voyant partir en fumée beaucoup d’année de travail.
Sur place, une chaine de solidarité est créée pour apporter de l’aide aux autres. Pendant ce temps-là, « des personnes mal intentionnées profitent de l’inattention pour se tailler gracieusement les motos stationnées au parking », raconte un témoin de la scène.
Dès l’annonce de l’incendie, le ministre chargé des Réformes Institutionnelles et du Dialogue avec la société, Amadou Thiam, qui était en tournée à Kayes au moment des faits, s’est rendu sur les lieux la même nuit avec le Gouverneur de région, le contrôleur général de police Mahamadou Zoumana Sidibé.
Qu’est ce qui a bien pu provoquer cet incendie ?
La cause de l’incendie selon plusieurs témoins est « liée à un court-circuit électrique de branchements illicites », une thèse confirmée par la délégation de la chambre de commerce et une élue locale de Kayes. En 5 ans, le marché de Kayes a connu deux grands incendies et un petit, tous provoqués par les anarchisassions de branchement illicites sur le réseau électrique.
Les raisons de la propagation de l’incendie ?
Plusieurs raisons pourraient justifier sa propagation, car le marché est confronté à une occupation anarchique des voies d’accès, aux problèmes de branchements illicites et de voirie urbaine, toutes choses qui ont des conséquences désastreuses en cas de sinistre comme ce fut le cas, lors de l’intervention des sapeurs-pompiers pour éteindre les flammes. Il a fallu « un long moment d’attente avant que nos soldats du feu n’atteignent le lieu de l’incendie, c’est regrettable qu’il n’y ait pas de voies d’accès », déplore un autre témoin. Malgré ces difficultés, les soldats du feu ont réussi à maitriser le feu.
Pendant que les victimes des précédents incendies continuent à pleurer leur sort, voilà qu’un autre vient causer d’énormes dégâts matériels plus graves que le premier. Pourquoi, attendre un autre drame avant de réagir si on avait bien tiré les leçons du passé ?
Ce nouvel incendie confirme que les autorités en charge du marché et les commerçants n’avaient pas tiré les leçons du passé pour prendre des mesures qui s’imposaient. Hélas, cette négligence fait payer un prix fort.
D’où peuvent se situer les responsabilités ?
Les responsabilités sont partagées à tous les niveaux. D’abord, il y a ceux qui occupent les voies d’accès du marché sans être inquiétés en plus des branchements illicites sur le réseau électrique. L’autre part de responsabilité revient à la mairie qui est chargée de la gestion du marché. Pourquoi, n’arrive-t-elle pas à mettre de l’ordre en sensibilisant les commerçants sur le danger de l’occupation anarchique des voies d’accès ? Et d’ailleurs, ce n’est pas elle qui encaisse les taxes communales de ces commerçants en fermant les yeux sur cette situation ?
Approchée par nos soins sur ces questions, Madame Macalou Mareme Seck N’Diaye 3è adjointe au maire et chargée des Finances à la mairie de la commune urbaine de Kayes confirme que l’origine de l’incendie « est liée à un court-circuit électrique à cause des branchements anarchiques ». Elle accuse aussi ceux qui, selon elle, s’opposent à la libération des voies d’accès. « Nous avons constaté que les populations elles-mêmes sont opposées au déguerpissement des voies d’accès au marché, ce qui complique d’avantage les interventions en cas de problème », confie Madame Macalou.
Un commerçant, qui a souhaité gardé l’anonymat, réfute catégoriquement la version avancée par la chargée des Finances de la mairie et estime que « la mairie ne doit pas faire endosser cette responsabilité de la question des voies d’accès à d’autres personnes. C’est elle qui doit veiller à ce que tout soit correcte dans ce marché, mais ce que je constate, c’est que la mairie ne fait qu’encaisser ses taxes en fermant les yeux sur ces irrégularités ».
Curieux d’en savoir davantage, je l’interroge sur la question gênante des branchements illicites, dont personne ne veut en parler. Et les branchements illégaux et anarchiques que vous pratiquez sur le réseau électrique au marché ? « Je ne suis pas au courant de cette situation, c’est à l’EDM de veiller sur son réseau électrique et dénicher les fraudeurs ». Mais si vous estimez ne pas être au courant des branchements anarchiques, comment expliquez-vous que l’incendie vienne d’un court-circuit à partir d’un branchement illicite ?, l’interroge à nouveau : « je n’ai pas de commentaires à faire », lance cet interlocuteur, visiblement troublé par la question avant de reprendre son chemin.
Et l’EDM dans tout ça ?
Les branchements illicites sur son réseau au grand marché ne sont un secret pour personne et se font à longueur de journée. Ce laissez- faire profite-il à quelqu’un, pour que nos agents de l’EDM se taisent et ferment les yeux sans réagir ? Face à cette situation de branchement illicite, le directeur de l’énergie que nous avons rencontré le mardi 23 juillet, s’explique : « Nous gérons du poteau au compteur, mais les branchements privés que font les gens à l’intérieur de leurs boutiques ne nous engage pas .Nous les avons plusieurs fois sensibilisés et attiré leur attention sur ces pratiques anormales qu’ils font à notre insu en leur expliquant le danger que celles-ci représentaient. Ils prennent des gens en ville pour faire ces travaux. Ce n’est pas la première fois et malheureusement ça continue ».Qui à part l’EDM pourra mettre fin à ces agissements dangereux ?, assure-t-il, en insistant sur la nécessité de « continuer la sensibilisation ».
Une commission de gestion de la crise créée
« Se penchant sur les causes et l’origine de l’incendie, une grande commission de gestion de la crise et deux sous-commissions ont été créées », selon M. Seydou Berthé, secrétaire administratif de la délégation régionale de la chambre de commerce et d’industrie du Mali de Kayes, « Cette commission a été mise en place pour réfléchir aux mesures à mettre en place ». Il (M.Berthé) précise que « la première sous-commission était chargée de l’identification, du recensement des articles, des victimes etc. et la 2 e avait pour mission d’identifier les voies d’accès au marché en cas de sinistre », avant d’ajouter « nous avons recommandé à l’EDM de faciliter l’accès des compteurs et former un seul agent pour les branchements au niveau du marché ».
De nouvelles mesures sont annoncées par les autorités notamment, la création très prochaine d’un poste de police au marché
Selon Madame Macalou Mareme Seck N’Diaye, 3è adjointe au maire, « une commission était déjà mise en place pour se pencher sur la sécurité des personnes et de leurs biens au marché. Dans cette commission, il y a les acteurs du marché, la chambre de commerce, la protection civile, la police, l’EDM et les services techniques concernés. La commission devait se réunir le mardi 02 juillet et malheureusement dans la nuit du 29 au 30 juin, l’incendie s’est produit ». L’élue locale nous apprend par ailleurs que, « quatre axes d’accès au marché identifiés seront déguerpis pour faciliter la circulation sur le site ». Elle indique aussi : « Toutes les autorités de la ville sont mobilisées à nous accompagner dans ce travail de libération des voies d’accès » avant d’ajouter que « même au niveau de l’assainissement, des initiatives sont en cours, en accord avec les commerçants et l’implication personnelle du Gouverneur qui nous appuie énormément, pour que le marché soit balayé. ».
L’autre innovation de toutes ces mesures en cours est la création d’un poste de police au sein même du marché. Si la création est effective, ce poste devrait permettre de veiller sur l’applicabilité des mesures et des dispositions qui ont été prises après les enseignements tirés de cet incendie, afin qu’elles soient exécutées sans encombre.
Reste à savoir, si l’application de ces mesures ne souffrira pas de laxisme, ou d’une autre forme d’impunité comme le dit un adage, « C’est au pied du mur qu’on voit le vrai maçon ». Comme annoncées, si ces mesures sont appliquées avec la plus grande fermeté en commençant d’abord par la sensibilisation, elles seront efficaces et bénéfiques pour tous.
Cependant, les questions que beaucoup de personnes se posent sont : « pourquoi le médecin après la mort ? Ne fallait-il pas anticiper si les problèmes étaient connus pour limiter les dégâts ? »
Si tout change et tout évolue, le changement de nos vieilles habitudes s’annonce plus que jamais pour maintenant, même s’il faut prendre des mesures impopulaires afin d’éviter dans l’avenir de nouveaux incendies avec les mêmes causes.
Michel Yao